L’Etat doit-il nous manipuler pour notre bien (commun) ?
par franceculture
Bien que l'économie ait mis en avant un Homo œconomicus rationnel, l'humain est finalement partiellement irrationnel, selon des mécanismes cognitifs connus et donc prévisibles nommés les biais comportementaux. Dans leur livre "Homo Sapiens dans la cité : comment adapter l'action publique à la psychologie humaine", Coralie Chevallier, chercheuse en sciences cognitives et comportementales à l'ENS-PSL et l'Inserm, et Mathieu Perona, directeur exécutif de l'Observatoire du bien-être du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP), étudient comment l'évolution a conditionné nos comportements ainsi que le potentiel de ces biais comportementaux.Ces mécanismes cognitifs – qui ont trait à la coopération, à la réputation, à la procrastination et à une série de plus petits réflexes cognitifs – peuvent être des freins à certains comportements des individus, mais ils constituent aussi des leviers d'action qui peuvent être utilisés pour influencer ces mêmes comportements. Par exemple, en Inde, l'économiste Esther Duflo a constaté que le fait de donner un sac de lentilles en échange de chaque injection suffisait à faire augmenter le taux de vaccination.Dans les mains des acteurs publics, ces biais cognitifs particuliers à la nature humaine peuvent être des moyens de manipuler les individus pour leur bien et pour le bien commun. Ces pratiques sont particulièrement utiles dans le domaine de la santé publique (tabagisme, vaccination, alcoolisme, don de sang, etc…), de l'éducation et de l'environnement. Les messages et images de prévention des effets à long terme du tabagisme ajouté sur les paquets de cigarettes sont un exemple de politique publique ayant recours aux outils comportementaux. En effet, dans les mains des mauvais acteurs, ces biais peuvent-ils devenir une forme de paternalisme et avoir des conséquences néfastes sur les individus ? Coralie Chevallier et Mathieu Perona détaillent aussi qu'à partir du moment où les outils comportementaux sont utilisés intentionnellement à l'encontre de l'intérêt des individus, cela cesse d'être éthique. Les acteurs publics ont ainsi une responsabilité supplémentaire à l'égard des citoyens : réguler les utilisations des biais comportementaux même si "quand on règlemente, on essaye aussi d'influencer le comportement des citoyens dans une certaine direction," rappelle Coralie Chevallier. Les politiques publiques peuvent-elles s'adapter à notre nature humaine ? Doivent-elles nous manipuler pour le faire ? Olivia Gesbert invite à sa table la chercheuse en sciences cognitives Coralie Chevallier et l'économiste Mathieu Perona pour répondre à ces questions.
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