Mon père a des pertes de mémoire

Anne-Claire Chapuis - Mon père refuse de reconnaître ses pertes de mémoire. Existe-t-il un moyen de lui faire comprendre qu'il n'est plus capable de faire ce qu'il faisait avant ? - Voilà une question difficile. Vous avez remarqué dernièrement que votre père oubliait la casserole sur le feu, répondait de travers aux questions que vous lui posiez et qu'il semblait ne plus se laver. Ces comportements sont gênants et même parfois dangereux. Votre père a besoin d'aide. Seulement voilà, il ne veut pas le reconnaître. Quand vous l'écoutez, ce n'est pas lui qui a mis la casserole sur le feu, il n'a pas bien compris votre question parce qu'il devient sourd et il a fait sa toilette ce matin, vous ne pouvez pas en douter. Le dialogue est donc impossible. Vous vous heurtez à un mur chaque fois que vous abordez le sujet. Alors que faire ? Mettez-vous bien dans l'esprit que votre père est face à ses échecs. Ce qui était facile pour lui avant est devenu très compliqué. Il s'en rend compte et ça le rend triste et l'énerve. En effet, perdre ses capacités signifie devenir dépendant d'autres personnes. Pour quelqu'un qui a toujours tout assumé seul, c'est insupportable. Alors pour éviter de faire face à ses échecs, il ne trouve qu'une solution : c'est cacher ou nier ses pertes de mémoire. Certains donnent le change pendant plusieurs mois. Les enfants sont surpris quand ils apprennent le problème. Quand on y pense, c'est bien quelque chose de logique. Le cerveau vieillit, des connexions ne se font plus et votre père n'a plus les capacités mentales d'effectuer des tâches de la vie quotidienne. Ça commence de façon anodine, par des petits oublis qu'on ne prend pas au sérieux. Votre père oublie le nom d'un de ses petits-enfants ou il appelle son fils par le nom de son frère. Puis ça devient de plus en plus handicapant. Votre père ne sait plus où est le supermarché du coin, il oublie de fermer le robinet, il prend son reflet dans le miroir pour une autre personne. Sans compter que, sorti à l'extérieur, il peut ne pas se souvenir du chemin qui mène jusque chez lui. Il devient vulnérable et peut être la cible d'escrocs comme des vendeurs à domicile qui pourraient lui faire signer un chèque d'un montant astronomique. Lorsque vous confrontez votre père à ses oublis, ses "bêtises", vous êtes en train de l'humilier, de lui dire qu'il n'est plus capable, ce qu'il ne peut pas entendre. J'aimerais vous donner deux conseils pour aider votre père à traverser cette étape difficile. 1. N'entrez pas en confrontation avec lui. Ne le mettez pas en face de ses pertes de mémoire. Au contraire, faites-lui remarquer ce qu'il est encore capable d'accomplir et valorisez-le de cette façon. N'hésitez pas à lui faire des compliments du style : "Tu sais, papa, j'ai remarqué que tu avais bien nettoyé la voiture ce matin et la haie est coupée à la perfection !" Vous pouvez même rajouter une petite phrase subtile et valorisante telle que : "comme tu as toujours su si bien le faire !" 2. Lorsque votre père vous dit qu'il a tondu la pelouse et qu'en arrivant vous avez vu son jardin transformé en forêt vierge, au lieu d'affirmer qu'il vous raconte des histoires, dites-lui plutôt : "Et que se passerait-il, papa, si tu n'arrivais plus à tondre la pelouse ?" Ainsi, vous laissez votre père maître de ses choix, de ses décisions. C'est à lui de faire le constat de ses incapacités. Vous pouvez alors lui proposer votre aide mais indirectement : "Papa, tu serais d'accord que je t'aide à tondre la pelouse si tu es trop fatigué pour le faire ?" Vous lui offrez ainsi la possibilité de demander de l'aide, vous ne lui imposez pas. Par la suite, il viendra certainement de lui-même à reconnaître qu'il ne peut plus gérer seul, mais tant que vous le forcerez à faire le constat de ses déficiences et que vous déciderez à sa place, il vous rejettera et se mettra en colère. De par mon travail en maison de retraite, j'ai vu bon nombre de personnes âgées non préparées à venir en institution se laisser mourir parce qu'elles n'acceptaient pas leur situation. Mettre une personne âgée en face de ses échecs revient à lui dire qu'elle est devenue inutile ou sotte. Pour conclure, je dirais que, comme la plupart des gens, vous prenez le problème à l'envers. Vous vous entêtez à faire comprendre quelque chose à votre père alors que c'est à vous de le comprendre. Vous verrez qu'en vous focalisant sur les besoins de votre père plutôt que sur ses problèmes, votre relation n'en sera que meilleure. Apprenez à lire entre les lignes, quand votre père vous montre quelque chose, ne le prenez pas au premier degré mais essayez de décrypter le message symbolique qui est derrière.