Zone euro: autopsie des dettes en sortie de crise Covid

par l'Opinion

Mesures d’urgence et plans de relance combinés à la réduction des recettes ont creusé les déficits et la dette des pays européens a bondi. Si la situation est très disparate, les gouvernements vont devoir s’attaquer à l’endettement public au sortir de la crise de la Covid-19 « Le quoi qu’il en coûte, c’est fini ! » Bruno Le Maire a annoncé lors de l’université d’été du Medef le 25 août qu’il coupait le robinet qui a déversé près de 240 milliards d’euros pour soutenir l’économie. « Nous n’avons pas compté l’argent public parce que c’était responsable de le faire », a ajouté le ministre de l’Economie. Et nos voisins européens aussi n’ont pas compté. Comment se situe dès lors la France par rapport à ses voisins européens ? Raphaël Legendre, journaliste au service économie de l’Opinion : « Que l’on parle des aides ou des résultats macro-économiques, la France se trouve en réalité dans une position plutôt médiane en Europe. C’est en tout cas ce que nous explique le comité de suivi et d’évaluation des mesures d’urgence pendant la crise, présidé par Benoît Cœuré et qui a remis son rapport au gouvernement avant l’été. Par exemple sur l’activité partielle : on a mis 35 milliards d’euros sur la table en France, c’est 1,4 point de PIB. C’est peu ou prou ce qu’ont fait l’Espagne et l’Italie mais c’est deux fois moins que l’argent mis en place par le Royaume-Uni et deux fois plus que l’Allemagne. Si on prend le fonds de solidarité qui est venu en aide aux entreprises depuis dix-huit mois. La France a mis 1,3 point de PIB, c’est ce qu’a fait à peu près l’Allemagne et c’est également ce qu’a fait l’Italie, par contre on est bien au-dessus de l’Espagne : 0,4 point de PIB, mais en deçà du Royaume-Uni : 1,6 point. Et quant aux prêts garantis par l’Etat, c’est pareil, la France a mis à peu près 6 points de PIB, on est bien au-dessus du Royaume-Uni et de l’Allemagne, mais en dessous de l’Italie et de l’Espagne. » Les mesures d’urgence et les plans de relance combinés à la réduction des recettes ont creusé les déficits et les dettes publiques des pays européens ont bondi. A tel point que l’endettement public de la zone euro a franchi pour la première fois de son histoire la barre des 100% du PIB. Il existe cependant d’importantes disparités entre les pays de l’Union européenne. R. L. : « La dette a augmenté de partout en Europe mais tous ne sont pas partis du même niveau. Comme un révélateur, la crise a accentué l’écart entre les pays rigoureux et les pays plus dépensiers. Comme on le voit sur cette carte, beaucoup de pays de l’Europe du nord et de l’est affichaient toujours au premier trimestre 2021 un niveau de dette publique maintenu sous les 60 % du PIB, 13 pays sur 27 au total (en bleu). On voit une deuxième catégorie (en orange) qui affiche en sortie de crise un endettement compris entre 60 % et un peu plus de 90 % mais qui devraient retrouver en quelques années le chemin du respect des critères de Maastricht, c’est-à-dire 60 % maximum. Et puis on le voit, en rouge, cette troisième catégorie, notamment autour de l’arc méditerranéen, des pays dont la dette dépasse très nettement les 100 % du PIB – la France en fait partie – et qui évoluent aujourd’hui entre 115 % et 160 % pour l’Italie, voire près de 210 points de PIB pour la Grèce, c’est dix fois plus que l’endettement de l’Estonie par exemple. On le voit donc, c’est une situation très disparate en Europe. Est-ce grave, docteur ? R.L. : « Pour l’instant tout va bien, le pacte de stabilité a été mis entre parenthèses jusqu’à la fin 2022 et la Banque centrale européenne continue d’acheter la dette des Etats par milliards chaque mois. Mais la parenthèse enchantée du « quoi qu’il en coûte » arrive à sa fin et un jour ou l’autre il faudra bien rembourser. Il y a quelques jours, la banque centrale américaine, la Fed, a annoncé qu’elle se dirigeait vers un «tapering», ça veut dire fermer le robinet des liquidités. Elle va donc engager une régulation de sa politique monétaire et la Banque centrale européenne devra tôt ou tard s’inscrire dans les pas de la Fed. D’autant plus que l’inflation repart, menaçant d’une hausse des taux. A partir de 2023, on pourrait donc observer un alourdissement de la charge de la dette qui, il est vrai, est tombée à des niveaux historiquement bas l’année dernière. A titre d’exemple, on a payé à peu près 35 milliards de charges d’intérêts sur la dette, c’est le même niveau qu’en 2000, quand notre dette était à 60 % et surtout trois fois inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui. Mais le plus inquiétant en réalité, ce sont ces écarts de dette entre les trois premières économies de la zone euro. L’Allemagne qui est aujourd’hui à environ 70 % et qui très vite va revenir sous les 60 % de dette d’un côté, et de l’autre, la France et l’Italie à 120 % et 160 %. L’Italie qui a une dette deux fois supérieure à celle de l’Allemagne, ces écarts pourront être pointés du doigt par les marchés financiers un jour ou l’autre. On se souvient, en 2010, les attaques sur la Grèce qui ne représentait que 2 % du PIB européen. L’Italie, troisième économie de la zone euro, est un danger bien plus important que ce qu’on a connu il y a dix ans. » En France, la dette publique ne manquera pas d’animer les débats à quelques mois de la présidentielle. En Allemagne, Olaf Scholz (SPD) et Annalena Baerbock (Grünen), candidats à la succession d’Angela Merkel, prônent une hausse de la fiscalité pour équilibrer le budget. Le Royaume-Uni et l’Espagne ont d’ores et déjà décidé d’augmenter certains impôts. Le gouvernement britannique a annoncé début mars une hausse de l’impôt sur les sociétés qui passera de 19 à 25% en 2023. Pedro Sanchez a lui annoncé dès juillet 2020 une hausse des impôts pour les «grandes corporations» pour faire face à la crise en Espagne. R.L. : « Le débat va forcément être relancé dans la zone euro au moment où il faudra normaliser la gouvernance des finances publiques. Il a commencé au Royaume-Uni, en Espagne, mais pas uniquement dans les pays les plus endettés. En Allemagne, par exemple, où le candidat socialiste Olaf Scholz est désormais le mieux placé pour être désigné chancelier, on assiste au retour de ce débat sur l’impôt sur la fortune qui a été supprimé outre-Rhin il y a 25 ans et qui pourrait donc faire sa réapparition post-crise. En France, Bruno Le Maire n’arrête pas de répéter que les impôts n’augmenteront pas mais jusqu’en 2022. Qu’en sera-t-il au-delà ? Personne ne peut le dire. Le problème c’est que la France n’a pas les marges de manœuvre des autres pays pour augmenter ses impôts puisque nous sommes déjà le pays le plus taxé au monde et qu’on l’a vu avec les Gilets jaunes par exemple, toute hausse d’impôt est désormais extrêmement difficile à faire passer dans l’opinion publique. Reste qu’avec près de 120 points de dette, il faudra très probablement faire des efforts, mais pas avant 2023. » Quelles solutions vont alors se présenter aux gouvernements des pays européens pour tenter de résorber les dettes Covid ? R.L. : « Il y a trois voies pour réduire la dette publique : la première c’est la croissance et tous les Etats vont faire en sorte d’augmenter leur croissance potentielle. Ensuite il y a deux voies : on peut rétablir les finances publiques soit par l’augmentation des impôts et certains pays ont des marges de manœuvre, ce n’est pas le cas de la France. Ou on peut passer par une baisse des dépenses. Là encore, certains pays et certaines opinions publiques acceptent mieux ce chemin que d’autres. Ce n’est pas vraiment le cas en France, c’est pourquoi Bruno Le Maire a proposé pour le prochain quinquennat, une forme de règle d’or, c’est-à-dire un plafonnement des dépenses publiques qui contraindrait chaque année durant le prochain quinquennat, pour limiter la hausse. »

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