par Ouest France - La sélection de la rédaction
« C'est une chance pour les habitants et les touristes de découvrir ces lieux à l'occasion des journées du Matrimoine et Patrimoine. Par exemple, la prison, c'est un lieu qui par définition est fermé, qui suscite beaucoup d'interrogations, de fantasmes, de réflexion ». Gilles Brohan, l'animateur du patrimoine et de l'architecture au sein de Destination Rennes, raccompagne un groupe d'écoliers jusqu'au grand portail bleu. « Il y a une grande part de mystère derrière ces murs en schiste pourpre qui bordent la prison. Comment c'est fait derrière ? Qu'est-ce qu'on peut voir ? », poursuit-il. Une prison au sein même de la ville Gilles déambule dans les longues allées de la prison qui forment une croix. « On est dans une prison de 1903. À l'époque, c'est le département qui a l'autorité pour construire les prisons », comme en traduit l'inscription « prison départementale » gravée dans la pierre à l'entrée de l'ancienne prison des hommes [bien qu'elle ait aussi enfermé des femmes au début de sa mise en service]. Le chantier est confié à Jean-Marie Laloy, l'architecte d'Ille-et-Vilaine de l'époque. « À ce moment, autour c'est la campagne. Dans la conception générale, on met les prisonniers à l'extérieur de la ville et de la société pour qu'ils réfléchissent à leurs méfaits. Aujourd'hui, comme les villes se sont étendues, la prison est dans la ville. On a juste à côté ces maisons, ces immeubles et même des écoles ». Devoir de mémoire À l'intérieur tout est de métal et de bois, traces de la révolution industrielle. La prison a fermé ses portes en 2010 à cause de la vétusté et de la surpopulation carcérale (473 détenus pour 326 cellules). Les pigeons ont trouvé asile dans la coupole au centre de la prison. Ailleurs, presque rien n'a bougé. Malgré la clarté apportée par les ouvertures zénithales et la symétrie très graphique des allées, difficile de ne pas se sentir à l'étroit dans cette enfilade de cellules par lesquelles sont passés des milliers de résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, dont Pierre Brossolette. « C'est très calme aujourd'hui mais il faut imaginer le son aussi. Beaucoup de prisonniers nous parlent des bruits de clés dans les serrures, des claquements de grilles, c'est très froid comme atmosphère et puis il y a les cris extérieurs aussi ». Les cellules sont spartiates et pourtant à l'époque, elles étaient preuves de modernité. « Il faut bien remettre dans le contexte. Le fait qu'il y ait un lavabo, des toilettes, un accès à l'eau potable dans la cellule, c'était nouveau. Ça traduit la volonté de la IIIe République de mieux considérer le milieu carcéral et de respecter le prisonnier », explique Gilles. Pour imaginer ce qu'était la vie en prison, il faut aussi regarder les murs. Certains sont tagués de messages ou de pensées. D'autres, portent encore les « yoyos », ces bouteilles en plastique suspendues aux fenêtres que les prisonniers utilisaient pour s'échanger des objets entre eux. « Il y a ce côté authentique du lieu qui est comme figé. On pourrait presque se dire que les derniers détenus et le personnel qui travaillait ici sont partis avant-hier », remarque Gilles avant de poursuivre, « on pourrait partir du principe que c'est un endroit qui ne sert plus en tant que tel. Mais on comprend, au regard de l'histoire, que c'est un lieu de mémoire avant tout. Ça renvoie aussi sur un contexte historique de comment on concevait les prisons. On voit les évolutions ou les réflexions qu'on se pose encore sur l'incarcération aujourd'hui ». En 2021, la prison Jacques-Cartier a été rachetée par Rennes Métropole qui projette de la transformer en un lieu culturel et citoyen. En attendant, des visites libres sont toujours possibles lors des journées du Matrimoine et Patrimoine ce week-end, pour la découvrir telle quelle, dans son jus.