Stains : un théâtre pas comme les autres
par lobs
« En banlieue, il y a beaucoup des ‘‘villes fleuries’’. Eh bien, Stains, c’est une ‘‘ville théâtre’’ ! » La formule est de Kheiron, l’une des étoiles montantes du stand up français passée par le Jamel Comedy Club de Canal +. Elle fait référence à une institution locale dans laquelle, lycéen, ce Stanois d’origine a livré ses premières improvisations : le Studio Théâtre de Stains. Une compagnie indépendante qui réside depuis 1984 dans un ancien cinéma de la rue Carnot, en plein cœur de la ville, et propose des spectacles exigeants, mais qui sait plaire à une population pourtant peu armée culturellement. « Ils mettent en scène Dickens, Bourdieu, Marivaux, Brecht ou des danseurs coréens mais les cent places du Studio sont remplies, quel que soit le moment où vous vous y rendez, s’étonne Annie Rafenaud, du centre social de Stains. Et elles le sont beaucoup par des locaux qui appartiennent aux catégories sociales les moins favorisées. » On est loin des centres dramatiques nationaux plantés entre deux tours des banlieues populaires, mais fréquentés presque exclusivement par des égarés du « 75 ». « Notre secret, c’est de faire de faire des pièces moins pour les habitants qu’avec les habitants », estime Marjorie Nakache, 51 ans (elle en fait dix de moins), qui avec son compagnon, Xavier Marcheschi, ouvre depuis trente ans ce son Studio aux quatre vents de la ville : associations de femmes des cités, enfants, lycéens, maisons de retraite, centres d’alphabétisation pour les migrants… « Le Studio Théâtre joue un rôle indispensable à Stains, celui de soupape, de régulateur, notamment pour les jeunes qui peuvent aller y exprimer ce qui est en eux », assure Azzédine Taïbi, le maire de la commune. Pour autant, Marjorie Nakache se défend de « faire du ‘‘socio-culturel’’ ou du ‘‘travail social’’. Nous sommes bien dans la création artistique et essayons de démontrer que oui, on peut offrir du ‘‘beau’’ qui parle au public d’ici sans forcément recourir au graff ou au hip-hop ». Si la compagnie se dit toujours aussi fière et enthousiaste d’œuvrer auprès d’une population en difficulté, certes, « mais débordante de vitalité », elle reconnaît que la situation s’est endurcie depuis quelques années. « Le chômage s’est abattu sur la ville et nous avons des familles modestes devenir carrément pauvres », analyse Kamel Ouarti, l’administrateur du Studio. Autre signe des temps : les critiques de théâtre de la presse nationale (donc parisienne), qui ont vu et aimé leurs productions dans les années 90 font de moins en moins le déplacement jusqu’à Stains. « Ils ont érigé dans leur tête une frontière plus infranchissable que le mur de Berlin, regrette Marjorie Nakache. Cela participe de ce que nous constatons ces dernières années : une certaine France, privilégiée, qui se fout éperdument de l’autre. Cela finit pas être insultant et, hélas, par donner Charlie. » En dépit de ses états de service, le Studio Théâtre doit mouiller la chemise pour survivre : si les subventions accordées par la ville de Stains n’ont pas flanché, les 480.000 euros par saison (soit 80% du budget) versés par le ministère, le département et la région ne cessent de se réduire depuis d’année en année. « C’est de plus en plus dur, il faut se battre pour ne pas être une ligne de dépense que l’on coupe au ministère », confirme Kamel Ouarti. Au point qu’en 2012, seule une pétition signé par quelques people (dont Jean Dujardin et Jean-Claude Carrière) a permis de sauver les meubles. Momentanément.
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