Pass sanitaire: quels risques pour nos libertés?
par l'Opinion
Le Parlement a définitivement adopté le projet de loi étendant le pass sanitaire dans la nuit de dimanche à lundi. Le dispositif divise, même au sein des libéraux. Entretien croisé avec François-Xavier Bellamy et Nicolas Bouzou Si le Parlement a adopté définitivement le projet de loi étendant le pass sanitaire, quelque 161 000 personnes ont défilé ce samedi pour s’y opposer (ministère de l’Intérieur). Entretien croisé avec François-Xavier Bellamy et Nicolas Bouzou. Avec le pass sanitaire, va-t-on perdre ou gagner en liberté ? François-Xavier Bellamy, philosophe et député européen LR : « Aujourd’hui, pour la première fois, il va falloir, pour les actes les plus simples du quotidien, présenter un document de santé et une pièce d’identité pour aller faire des choses aussi simples que prendre un café, un train, rentrer dans un centre commercial. Et il y a là quelque chose qui transforme notre société – non pas au sens où la question du vaccin est nouvelle, ni même la question de l’obligation vaccinale car c’est n’est précisément pas une obligation vaccinale –, une situation dans laquelle n’importe quel citoyen va se mettre à contrôler tous les autres. Et l’Etat, d’une certaine manière, se défausse de sa responsabilité sur la société qui va devenir responsable de la surveillance qu’elle organise. Et il me semble que ce qu’il y a de particulièrement dangereux avec le pass sanitaire, c’est que les restrictions de liberté puissent peser seulement sur une catégorie de la population et sur une catégorie dont on expliquera que c’est bien de sa faute si elle ne dispose dispose plus des libertés les plus fondamentales. Je crois que nous n’avons pas le droit de nous résigner à ce que, même face à une épidémie, même face à une crise, des libertés aussi fondamentales que la liberté de circulation, que la liberté d’accéder à l’espace public, que la liberté d’entrer en interaction avec ses semblables soit potentiellement remise en question, cela ne peut être fait sous aucune espèce de prétexte lorsqu’on parle de citoyens qui n’ont pas été condamnés, qui n’ont pas commis de crime, qui n’ont pas commis de faute. » Nicolas Bouzou, économiste et essayiste : « Ce qui est liberticide, c’est le virus et les mesures de politique publique sont des mesures qui doivent nous permettre de sortir de l’épidémie. Et parmi celles-ci, c’est vrai que j’ai considéré que le pass sanitaire était l’une des meilleures parce que, justement, c’est la moins liberticide, c’est la plus juste du point de vue de la philosophie politique et c’est la moins bureaucratique. La vaccination, ce n’est pas une affaire de libertés individuelles. Là-aussi, c’est une erreur que commettent beaucoup de mes amis libéraux qui disent, au fond : à partir du moment où les vaccins sont disponibles et où il y a des gens qui sont vaccinés, je peux choisir, moi, de ne pas me faire vacciner parce que je ne fais plus courir un risque aux autres. Mais c’est faux à deux titres. La première chose c’est qu’à partir du moment où tout le monde n’est pas vacciné, un non-vacciné fait courir un autre risque aux non-vaccinés. Un non-vacciné fait courir un risque au système hospitalier et empêche donc des gens qui sont vaccinés d’aller éventuellement dans le système hospitalier pour d’autres pathologies que la Covid-19. Et puis, dernier argument, le fait qu’il y ait beaucoup de personnes non-vaccinées génère de nouveaux variants et peut aller jusqu’à générer un variant qui sera insensible aux vaccins. Donc l’argument de la liberté individuelle, dans cette affaire-là, ne tient pas du tout. » Faut-il y voir une menace pour nos données personnelles ? François-Xavier Bellamy, philosophe et député européen LR : « Il y a plus qu’un risque pour nos données personnelles. De fait, aujourd’hui, pour aller prendre un café, vous allez devoir produire un document de santé et votre pièce d’identité. Et d’une certaine façon, nous tirons un trait de manière incroyablement rapide sur des décennies de construction patiente de protection de la vie privée, de protection des données, notamment à travers notre droit. Et je crois que nous avons devant nous un défi majeur et magnifique, c’est de montrer que la liberté n’est pas incompatible avec l’efficacité et que nous sommes capables de faire face à une épidémie, de la vaincre aussi bien que les modèles autoritaires, sans renoncer à nos principes et y compris à nos principes les plus exigeants, dans un moment comme celui-ci. » Nicolas Bouzou, économiste et essayiste : « Le pass sanitaire c’est une information extrêmement simple, c’est-à-dire : est-ce que vous êtes vacciné ou pas, est-ce que vous avez été contaminé ou pas, est-ce que vous avez subi un test PCR récemment ou pas. Donc ce sont des données qui sont extrêmement simples et sur lesquelles on peut mettre en place des garanties de sécurité extrêmement fortes. Donc ces données-là ne vont pas remonter au gouvernement, aux assureurs ou aux mutuelles pour avoir une tarification qui serait fonction du risque. Donc il n’y a pas véritablement de problème de libertés publiques, en tout cas pas plus qu’avec un permis de conduire, une carte grise ou une feuille d’impôts. » Craignez-vous que ces mesures d’exception se transforment en mesures durables ? Nicolas Bouzou, économiste et essayiste : « Certains de mes amis, notamment chez les libéraux, considèrent qu’on s’est habitués au manque de liberté et qu’il y aurait au fond une demande pour des mesures qui sont liberticides. En fait c’est très exactement l’inverse qui est en train de se passer. C’est-à-dire qu’il y a un rejet extrêmement fort de tout ce qui est liberticide ; on n’a plus supporté le couvre-feu à la fin, on n’acceptera plus les confinements, donc c’est exactement l’inverse. La demande de liberté est très forte. Et donc je pense – on ne peut pas en être sûr, c’est un pari que je fais – que la pression sociale, de l’opinion, quand l’épidémie sera terminée ou sur le point de se terminer, elle sera très forte pour laisser de côté absolument toutes les mesures qui sont des mesures qui ont mis des freins à notre liberté. Donc c’est quelque chose, si vous voulez, dans un Etat de droit qui ne m’inquiète pas. Dans un pays qui n’est pas un Etat de droit, dans une dictature comme la Chine, c’est un sujet. Evidemment, c’est quelque chose qui m’inquiéterait beaucoup. » François-Xavier Bellamy, philosophe et député européen LR : « On devrait regarder avec beaucoup d’inquiétude un mécanisme de contrôle aussi étendu parce que lorsqu’on donne au pouvoir la possibilité de ce contrôle, n’importe quel libéral sait que le pouvoir est porté à utiliser tous les moyens qui sont à sa disposition. En disant cela, je ne porte pas le soupçon sur ce gouvernement, je dis seulement que le principe même de la démocratie c’est de garantir les limitations nécessaires, notamment au pouvoir exécutif, parce que le grand danger pour toute personne exerçant des responsabilités importantes, c’est d’abuser du pouvoir qui lui a été confié. »
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