Liban: les raisons d’une impasse politique

par l'Opinion

Le Liban est dépourvu de gouvernement depuis près d’un an. Aurélie Daher et Ziad Majed, spécialistes du Liban, décryptent les raisons de cette impasse politique Un an après l’explosion au port de Beyrouth, le Liban s’enfonce dans une crise économique et sociale sans précédent. Emmanuel Macron présidait ce mercredi une visioconférence internationale de soutien à la population libanaise. « Nous allons, dans les douze mois qui viennent, mettre en place près de 100 millions d’euros de nouveaux engagements en appui direct à la population du Liban pour ce qui concerne la France », a annoncé le chef de l’Etat français. Et le pays est aussi dans une impasse politique. Cela fait près d’un an que le Liban n’a pas de gouvernement. « La première des priorités reste cela : la formation d’un gouvernement chargé des mesures les plus urgentes », a ajouté Emmanuel Macron. Aurélie Daher, enseignante-chercheuse à Paris Dauphine, spécialiste du Liban, et Ziad Majed, politologue et professeur à l’université américaine de Paris, décryptent les raisons de ce blocage politique. Le président libanais Michel Aoun a chargé lundi 26 juillet 2021 Najib Mikati, ancien Premier ministre, de former un nouveau gouvernement. Ses deux prédécesseurs avaient échoué. « Vu l’accusation menée par la majorité des Libanais à l’égard de la classe politique en tant que classe politique politique corrompue, médiocre, incapable de gouverner, irresponsable, les hommes politiques sentent qu’ils doivent former un gouvernement différent des anciens gouvernements avec un peu plus de personnes crédibles, indépendantes, technocrates... ce qui rend la tâche encore plus difficile », commente Ziad Majed, politologue et professeur à l’université américaine de Paris. Mais surtout, pour bien comprendre la situation politique libanaise, il convient de s’attarder sur le confessionnalisme, un système politique propre au pays du Cèdre. « Ce sont des régimes qui garantissent la répartition des pouvoirs au sein de l’appareil étatique et la représentativité politique selon des quotas qui sont bien déterminés, explique Aurélie Daher. C’est-à-dire qu’indépendamment de savoir si la majorité est à gauche, à droite, – dans le cas du Liban, est-ce qu’ils sont 14-Mars, 8-Mars, pro-Hezbollah, anti-Hezbollah, etc. – il faut quand même s’assurer que certains postes sont réservés à telle communauté ou dans telle proportion à telle communauté. » Il y a au Liban 18 communautés et les trois principales sont les musulmans chiites, les sunnites et les chrétiens maronites. « Au Liban, le président de la République doit nécessairement être chrétien maronite, le Premier ministre nécessairement musulman sunnite, le président de la Chambre nécessairement chiite. Au Parlement vous avez 128 sièges, il y en a 34 pour les maronites, il y en a 27 pour les sunnites, 27 pour les chiites, etc. », poursuit Aurélie Daher. Mais au fil du temps, ce système politique a montré ses limites. « Avec les changements démographiques, avec les rivalités politiques, avec les divisions économiques et sociales, ce système est devenu extrêmement rigide. La citoyenneté n’a pas été consolidée ou construite d’une manière correcte parce que l’appartenance est premièrement à la communauté », analyse Ziad Majed. Et depuis l’instauration du confessionnalisme, la démographie libanaise a changé. En 1989, l’accord de Taëf met fin à 15 ans de guerre civile et vient rééquilibrer le système entre chrétiens et musulmans. « Depuis la fin de la guerre civile, on a un Parlement qui respecte la parité entre musulmans et chrétiens, on a autant de députés toutes confessions chrétiennes confondues que de députés musulmans alors qu’avant la guerre, par exemple, la règle voulait qu’on avait un léger différentiel en faveur des chrétiens », retrace Aurélie Daher. « Il y avait plus de députés chrétiens que de députés musulmans. Un autre changement, aussi, dans les règles confessionnelles, qui a été amené avec la fin de la guerre, c’est une revue à la baisse des prérogatives du président de la République qui initialement correspondait à un poste fort, notamment au niveau du pouvoir exécutif. Aujourd’hui, l’exécutif est essentiellement dans les mains du Conseil des ministres qui est présidé, comme je le disais tout à l’heure, par un sunnite. » L’accord de Taëf prévoyait également l’abolition du confessionnalisme. « L’élite politique libanaise n’a pas réussi à trouver des programmes ou des processus capables de dépasser un jour le confessionnalisme, pointe Ziad Majed. A la fois par médiocrité mais aussi parce qu’il y a des intérêts et parce que tous les ténors de la classe politique aujourd’hui – qui sont d’ailleurs exactement les mêmes depuis 1990 jusqu’à maintenant, donc depuis la fin de la guerre civile, à quelques exceptions près –, ont tout intérêt à préserver ce système qui leur permet de se maintenir au pouvoir, qui leur permet d’alimenter leur base sociale et électorale afin de pouvoir gouverner, se distribuer les privilèges et les acquis de ce système-là. » « Et le résultat aujourd’hui c’est une faillite de l’Etat, des milliards de dollars qui ont disparu, c’est un Etat qui n’arrive plus à offrir des services, c’est une société qui se bat pour survivre, c’est l’explosion du port de Beyrouth qui est à la fois un résultat de la corruption, de l’irresponsabilité, de la mauvaise gestion et de certaines complicités sécuritaires avec le régime syrien. »

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