Le maire Pro-migrants de Riace arrêté.
par Kangai News
L'arrestation d'un maire polarise le débat sur l'accueil des migrants en Italie. La police l'accuse d'aide à l'immigration clandestine. Or, ce village était devenu le symbole d'une intégration réussie. Domenico Lucano, Mimmo pour tous ceux qui le connaissent, était depuis quelques années un modèle pour de nombreux bénévoles italiens engagés dans l'accueil des migrants. Cet homme de 60 ans, maire d'une petite bourgade, Riace, de Calabre avait réussi, depuis une dizaine d'années, à monter un projet unique en son genre. Faire renaître son village en accueillant des migrants dans un projet de reconstruction. Mardi, Domenico Lucano a été arrêté. Il est soupçonné par la police d'aide à l'immigration clandestine. Le communiqué du parquet cite des conversations téléphoniques de Domenico Lucano où il promet de faire une carte d'identité à une personne dont le permis de séjour n'est plus valable, expliquant que la loi qui l'interdit est « stupide », et dans un autre cas de marier les yeux fermés une Nigériane sans-papiers. Son arrestation a provoqué un coup de tonnerre en Italie, tant le « modèle » de Riace a été salué à travers le monde. En mobilisant des fonds italiens et européens, Domenico Lucano est parvenu à revitaliser son village, à garder ouverte son école, à relancer l'artisanat. Une sorte de modèle vertueux de l'accueil sur terre, dans le droit fil de l'accueil en mer des habitants de Lampedusa. En se présentant devant les juges, jeudi matin, Mimmo Lucano déclarait : « je n'ai rien à cacher, j'espère seulement que le modèle Riace va survivre ». Le langage de Salvini Dans l'Italie dirigée par la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles, l'accueil des migrants est devenu un sujet politiquement incandescent. À coups de tweets, le ministre de l'intérieur, Matteo Salvini, a fait de la propagande anti-migrants le cœur de sa campagne électorale pour les élections du 4 mars dernier, mais plus encore le cœur de sa communication verbale depuis son entrée au gouvernement. L'annonce, mardi, de l'arrestation du maire de Riace a été bruyamment saluée par le ministre de l'Intérieur, en dépit du devoir de réserve en matière judiciaire qui devrait caractériser la parole publique d'un membre du gouvernement. La question migratoire est un chiffon rouge sacré pour la propagande de la Ligue. Dans un tweet dont il abreuve l'opinion italienne, à la Trump, Salvini a dès mardi dénoncé "les fausses bonnes consciences qui voudraient remplir l'Italie d'immigrés". Sur un ton qui, pour un ministre de l'intérieur, semble davantage relever de la menace permanente que de la gestion d'un dossier si complexe. Presque tous les tweets de Salvini sont d'ailleurs porteurs d'une charge de violence verbale qui contribue à rendre particulièrement lourd le débat politique italien sur le sujet. Mercredi, ne félicitait-il pas, via tweeter, un médecin du nord de l'Italie pour avoir dénoncé à la police un immigrant en situation irrégulière ? Pour ne pas être en reste, l'autre parti de gouvernement, le Mouvement 5 Étoiles, a enfoncé le clou sur son blog. « Pas un centime pour Riace [...]. Le gouvernement du changement a déclaré la guerre au business de l'immigration ». Accueil diffus ou malaise diffus ? Cette arrestation arrive aussi une semaine après la présentation du « décret-loi Salvini », qui prévoit de regrouper les demandeurs d'asile dans des grands centres d'accueil et de limiter les petites structures inspirées de Riace et prônées par l'ancien gouvernement de centre gauche. Ces petites unités reçoivent actuellement 35 € par personne accueillie et par jour, qui reviennent essentiellement à l'économie de la commune via les loyers, les emplois créés, l'argent de poche dépensé sur place... Matteo Salvini veut limiter la somme à 20 € par jour et interdire les titres de séjour humanitaires, ce qui devrait faire chuter de 60 % le nombre de personnes éligibles à ces programmes d'intégration, au grand dam des maires concernés. La question de l'accueil diffus sur le territoire des demandeurs d'asile empoisonne la politique italienne depuis des mois. Le succès de la Ligue dans certains fiefs traditionnellement tenus par la gauche, au centre de l'Italie notamment, a été fortement lié à cette question. Du point de vue de l'accueil, la diffusion dans des centres de petite taille permet d'éviter un « effet Calais ». Mais dans villes petites ou moyennes où arrivent des groupes de migrants, cela a aussi l'effet de diffuser, de manière capillaire, le sentiment d'une présence non désirée. Sur un terreau social déjà douloureux, après dix ans de crise et de stagnation économique. « On n'arrête pas Riace » Le jusqu'au-boutisme de Matteo Salvini en matière migratoire, manifestement payant dans l'opinion publique, ne résout pas pour autant une question centrale. Celle de l'intégration. D'autant plus urgente que le flux d'arrivée en 2018 a considérablement baissé par rapport aux années précédentes. Si le gouvernement actuel bénéficie d'un état de grâce sans précédent, avec près de 60 % d'opinion favorables dans les sondages, la société italienne est en réalité profondément déchirée sur ce sujet. Depuis mardi, toute la journée le hashtag #Riace a été en tête des thèmes les plus commentés sur les réseaux sociaux. Et militants et syndicats ont appelé à une manifestation samedi dans le village sous le slogan « On n'arrête pas Riace ». Silence sur la mafia et la N'dranghetta L'écrivain antimafia Roberto Saviano, qui avait lancé cet été un appel pour défendre le « modèle Riace », a dénoncé « un premier acte vers la transformation définitive de l'Italie en État autoritaire ». « Vous paraît-il possible que le problème de la Calabre, terre de trafic de drogue et de corruption criminelle, soit l'immigration ? », a ajouté l'auteur de Gomorra, en soulignant que la justice n'avait relevé aucun enrichissement personnel du maire. Le village de Riace se situe en effet dans un Mezzogiorno toujours étreint par l'emprise mafieuse. Une emprise que la crise n'a fait que renforcer. Le contraste entre la résurgence de l'esclavagisme dans les champs où l'on cultive la tomate et l'arrestation d'un maire dont le principal crime est d'avoir fait des entorses assumées à la bureaucratie ne saurait être plus criant. Comme le commentait jeudi matin, dans le quotidien Il Foglio, dans un billet très corrosif, Massimo Bordin souligne que le débat sur la frontière entre la désobéissance civique et le contournement de la loi est certainement très intéressant. Mais, selon lui, c'est la brutalité des mesures prises par le parquet de Locri, avec l'arrestation de 15 personnes, qui relève d'une politique « de destruction » de l'esprit de Riace. Puis il conclut. « Le sens de cette opération donne assurément l'impression de dériver directement du climat politique dominant, mais cela ne veut pas dire qu'il y a eu une impulsion politique » pour cette arrestation. « Les régimes naissent lorsque les ordres ne sont plus nécessaires ». C'est actuellement le sentiment de nombreux Italiens.
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