Le grand angle diplo : Tsipras otage consentant de Poutine?
par lejdd
François Clemenceau, rédacteur en chef du service "International" du JDD, décrypte chaque semaine les photos de l'actualité mondiale ou de ses coulisses. Cette semaine, il évoque la future visite d'Alexis Tsipras en Russie. Le Premier ministre grec se rend le 8 avril en Russie et c'est peu de dire que cette visite fait grincer des dents en Europe où l'on craint de voir Vladimir Poutine utiliser Alexis Tsipras pour diviser les Européens, singulièrement sur le dossier ukrainien. Ce voyage à Moscou sera son premier déplacement en dehors de l'Union européenne depuis qu'il est aux affaires, Alexis Tsipras s'y était déjà rendu l'an dernier en tant que patron de Syriza. Bien qu'étranger aux choses religieuses, il sait le lien profond qui unit les croyants russes et grecs au sein de l'Eglise orthodoxe. Très à gauche également sur le plan diplomatique, il avait déclaré son hostilité à l'accord d'association de l'Ukraine et de l'Union européenne, persuadé que cela reviendrait à agresser la Russie dans sa sphère d'influence. Quant au statut de la Grèce en tant que pays membre de l'OTAN, s'il l'a dénoncé par le passé, il n'en parle plus aujourd'hui mais n'en pense sans doute pas moins. Il n'empêche, Tsipras sera de retour au Kremlin le mois prochain, le 9 mai, pour les cérémonies du 70ème anniversaire de la victoire des alliés contre les nazis, des festivités boudées par l'ensemble des grands pays européens, mais auxquelles Tsipras veut se rendre, au risque d'être bien seul aux côtés de Vladimir Poutine, du président chinois et du tyran de Corée du Nord Kim Jong Un. Ce n'est pas tant ce flirt avec la Russie qui agace les dirigeants européens que le risque réel de voir Poutine se servir de Tsipras pour enfoncer un coin dans l'unité si difficilement obtenue à 28 pour sanctionner la Russie pour son comportement en Ukraine. A ce stade, la plupart des sanctions ont été maintenues, car les fameux accords de Minsk n'ont pas encore été appliqués dans leur intégralité. A l'époque, lorsque les sanctions avaient été votées, Tsipras les avait condamnées. Lorsqu'elles ont été maintenues en janvier dernier, alors qu'il venait d'arriver à la tête du gouvernement, il s'est plaint de ne pas avoir été consulté. Aujourd'hui, alors que Bruxelles et la BCE lui réclament des réformes drastiques en échange de liquidités pour rembourser les dettes de la Grèce, beaucoup considèrent que Poutine pourrait aider Tsipras en échange du soutien d'Athènes sur le dossier ukrainien et contre l'isolement de la Russie. Il n'est pas certain que Tsipras se laisse enfermer dans ce statut d'otage. Mais la tentation sera forte de marchander son respect des clauses financières imposées par l'Europe, en menaçant de fragiliser l'unité des 28 sur l'Ukraine. Il existe cependant un contre-exemple : lorsque Chypre s'est retrouvée en 2013 au bord de la faillite, on a bien vu que sa proximité avec la Russie ne l'avait pas empêché de rester solidaire des Européens. Cette relation privilégiée entre la Grèce de Tsipras et la Russie de Poutine ne doit donc pas être dramatisée. Mais c'est à Bruxelles et aux grands créanciers de comprendre aussi que l'unité et la sécurité de l'Europe ont un prix qu'il faut parfois payer cher.
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