La réforme de l’assurance-chômage va-t-elle limiter l’assistanat?
par l'Opinion
« Pour que le travail permette de vivre dignement et paie toujours davantage que l’inactivité, nous conduisons en ce moment même une indispensable réforme de l’assurance-chômage », rappelait Emmanuel Macron lors de son allocution le 9 novembre. Une réforme dont le dernier volet est entré en vigueur ce mercredi. « Il faudra avoir travaillé au moins six mois dans les deux dernières années pour pouvoir être indemnisé », ajoutait le chef de l’Etat. Les économistes restent divisés sur cette réforme qui durcit les règles d’indemnisation des demandeurs d’emploi. Cette réforme va-t-elle «encourager le travail» comme le souhaite le gouvernement et permettre de lutter contre «l’assistanat» ? Bertrand Martinot, économiste à l’institut Montaigne : Cette réforme est importante parce qu’elle durcit, en effet, les conditions d’indemnistation, de rémunération et d'éligibilité à l’assurance-chômage pour un public spécifique qu’on appelle maintenant les «permittents», c’est-à-dire des personnes qui enchainent des emplois courts de manière générale : CDD, intérim, et qui sont en fait proches du marché du travail. Une restriction de l’assurance-chômage est une forte incitation pour ces personnes proches du marché du travail, dans un moment où le marché du travail est particulièrement favorable, elle va les inciter effectivement à reprendre plus rapidement de l’intérim et éventuellement des CDD avant de trouver éventuellement un CDI. Eric Heyer, économiste et directeur du département analyse et prévision à l’OFCE : Ce qu’il faut bien avoir en tête, c’est que dans les chômeurs, il n’y a que la moitié de ces chômeurs qui sont sous assurance-chômage, l’autre moitié n’est pas du tout sous l’assurance-chômage, et donc cette réforme ne va pas du tout les impacter. Ça ne va impacter qu’un certain nombre de chômeurs qui touchent une indemnité chômage. Et après, dans cette moitié de chômeurs, il n’y aurait que 8 %, d’après les chiffres de Pôle emploi qui, effectivement, essaieraient de jouer avec le système et donc en fait cette réforme va effectivement, sans doute, tenter de les inciter – ces 8 % d'à peine 50 % des chômeurs, donc c’est à peu près 4 % des chômeurs – à retourner un peu plus rapidement à l’emploi. Donc ça veut dire que cette réforme va toucher finalement assez peu de personnes et inciter assez peu de personnes à retourner à l’emploi. Et elle peut même avoir une désincitation pour les autres parce que quand vous incitez en étant moins généreux en termes d’assurance-chômage, un certain nombre de chômeurs vont se précipiter pour retrouver un emploi parce que, bien entendu, ils ne peuvent plus vivre avec leur indemnité chômage. Et, en se précipitant, ils vont globalement accepter des emplois qui ne correspondent pas exactement à leurs compétences. Et donc un certain nombre d'études indiquent que, dans ce cas de figure-là, la productivité baisse, le chômage ne baisse pas parce que finalement ce n’est qu’un phénomène de file d’attente et donc ça n’est pas complètement optimal, donc attention. Puisque ça ne représente finalement que très peu de personnes, les chômeurs qui jouent avec le système, cette réforme ne va pas tellement inciter à la reprise d’un emploi. Cette réforme peut-elle avoir un effet sur ce qu’on appelle «la permittence» (alternance de contrats courts et de chômage) et ainsi favoriser les contrats plus longs ? Bertrand Martinot : Cette réforme peut avoir d’autant plus d’impact sur le chômage de court terme, on va dire, c’est-à-dire sur les personnes qui enchaînent des périodes d’emploi et des périodes de chômage, que le marché du travail est particulièrement favorable en ce moment, et que pour ces personnes qui sont qualifiées, formées, qui sont proches du marché du travail, il est plus facile qu’il y a quelques années, évidemment, de retrouver facilement du travail, y compris en CDI. Le marché du travail est très dynamique, également sur les CDI. La proportion d’embauches en CDI a augmenté ces derniers trimestres. Donc c’est le bon moment, probablement, pour faire ce type de réforme. Eric Heyer : La permittence n’est pas une bonne façon de faire, c’est-à-dire qu’il est normal que les entreprises qui ont énormément recours à des contrats courts, qui coûtent extrêmement chers à l’assurance-chômage, paient plus que celles qui n’ont pas recours. Donc un système de bonus-malus est dans la conception assez intelligent. Le problème de cette réforme c’est que ce bonus-malus ne va porter que sur sept secteurs, sept branches et donc il n’y aura qu’un tiers des contrats courts qui vont être soumis à ce bonus-malus. Donc vous voyez, c’est très compliqué de lutter contre un phénomène qui est assez conséquent mais vous luttez en ne mettant un bonus-malus que sur un tiers du problème. Donc que faire avec les deux autres tiers restants ? Et donc on voit qu’ils veulent lutter contre la permittence uniquement en faisant payer le salarié et pas l’entreprise, alors qu’on a envie de penser que si les salariés acceptent ces contrats courts c’est parce que les entreprises ont intérêt et proposent ces contrats courts. Donc je pense que ça va être difficile avec cette réforme de lutter contre la permittence parce que ce n’est pas équilibré ni exhaustif. La réforme de l’assurance-chômage risque-t-elle d’accroître la précarité de certains demandeurs d’emploi ? Eric Heyer : Il est certain qu’en ayant une assurance-chômage moins généreuse, et notamment en durcissant les conditions et le nombre de mois pour y avoir droit, vous allez pénaliser essentiellement, nous disent les études de l’Unédic, des chômeurs qui, lorsqu’ils travaillaient, touchaient à peu près 1 300 euros, ce qui est un salaire qui est en-dessous du salaire médian donc c’est plutôt des salariés précaires qui vont être pénalisés par cette mesure-là. Bertrand Martinot : Cette réforme ne touche absolument pas aux droits des chômeurs de longue durée et qui rencontrent des problèmes durables de retour à l’emploi. Ce n’est pas une réforme qui va accroître la précarité. Ce qui accroîtrait la précarité, c’est de diminuer le niveau des allocations chômage pour les chômeurs de longue durée, et ça il n’en a pas été question.
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