Covid-19: le marché du travail entame sa mue

par l'Opinion

Gilbert Cette, professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille, et Alexandre Viros, président d’Adecco France, décryptent les bouleversements provoqués par la crise de la Covid-19 sur le marché du travail Selon un rapport de McKinsey Global Institute (MGI), intitulé «The future of work after COVID-19», publié en février 2021, plus de 100 millions de travailleurs, soit 1 sur 16, devront changer de métier d’ici à 2030, dans les huit pays étudiés : Etats-Unis, Allemagne, Japon, France, Espagne, Royaume-Uni, Chine et Inde. En France, cela concernerait près de 2,5 millions de salariés. Comment la crise de la Covid-19 a bouleversé le marché du travail ? Les explications de Gilbert Cette, professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille, et d’Alexandre Viros, président d’Adecco France. Gilbert Cette : « Est-ce qu’on doit attendre un immense effet négatif, un big bang, sur le marché du travail ? Non. » Du moins pour l’instant, car la hausse du chômage reste encore contenue par les mesures de soutien. G.C. : « L’économie c’est un peu, en ce moment, comme un ressort comprimé par les mesures sanitaires qui brident son activité. Dès que ces mesures sanitaires seront complètement levées, l’activité va se détendre. La deuxième chose, c’est que grâce aux mesures de soutien, la situation financière des entreprises est finalement, globalement, assez peu dégradée. » Certains secteurs ont cependant été touchés de plein fouet par la crise sanitaire. G.C. : « Les secteurs des hôtels, cafés, restaurants, de l’événementiel, du tourisme sont les secteurs qui ont étéles plus fortement impactés. Et comme cet impact a été fort et durable, il est clair que certains établissements ont été amenés à arrêter leur activité malgré les mesures de soutien. Donc des salariés ont connu une perte d’emploi et se sont, pour certains, reconvertis. Néanmoins, ces pertes d’emplois, comme vous le savez, ont été assez faibles. 1% environ de destructions d’emplois, par exemple, sur l’année 2020, alors même que le produit intérieur brut s’est contracté d’environ 8%. » La crise de la Covid a surtout accéléré certaines mutations que l’on observait déjà auparavant. Alexandre Viros : « La croissance du e-commerce ne date pas de la crise mais, comme on le dit souvent, les mois de crise nous ont fait gagner trois, cinq ans, selon les experts ou les évaluations, en termes d’accélération digitale et en termes d’accélération des usages. On le sait bien, une fois que les usages sont adoptés, les consommateurs ne reviennent pas en arrière. Donc ça c’est une accélération très forte. » Selon McKinsey, le commerce en ligne a fait des bonds : il représentait en 2020 27 % du total des ventes au détail en Chine, 20 % aux Etats-Unis et 9 % en France. A.V. : « On a vu, en revanche, des secteurs qui étaient déjà en croissance mais qui ont considérablement accéléré – je pense que cette accélération-là est durable –, c’est évidemment les secteurs liés à la logistique, à la chaîne d’approvisionnement. Je crois qu’il y a quelques années, je n’aurais pas dit ça, mais c’est certainement dans ce secteur-là qu’on va voir les plus grandes évolutions de métiers puisque ce sont des domaines qui sont de plus en plus sophistiqués avec le temps, de plus en plus intéressants, dans lesquels il y a plus d’investissements, notamment technologiques, et puis une grande demande en termes de consommation. Le secteur du e-commerce entraîne tout cela dans son sillage et la chaîne d’approvisionnement fait partie des secteurs qui sont très fortement sous tension avec de la croissance en matière d’emploi qui est considérable. » G.C. : « Avant la crise sanitaire, on était déjà à l’entrée d’une nouvelle révolution technologique, à savoir celle de l’économie numérique, si l’on peut dire. Tout était prêt pour accueillir, en quelque sorte, cette révolution de l’économie numérique. Néanmoins, la diffusion de cette économie numérique se faisait de façon très progressive. La crise de la Covid-19 a accéléré d’une façon considérable ce processus, et l’une des expressions de cette accélération, c’est bien sûr le recours au télétravail qui, auparavant, était marginal et concernait des professions très spécifiques de cadres supérieurs et qui maintenant concerne un grand nombre de travailleurs. » Toujours selon McKinsey, les métiers de la santé, de l’ingénierie et de la technologie figurent parmi ceux qui recruteront. A.V. : « Je pense que nous rentrons dans une période où la question sanitaire, hygiénique en général va être au premier plan avec des attentes très fortes des citoyens, des salariés, des consommateurs et donc tous ces métiers-là sont des métiers, aussi, où on va voir beaucoup de demande à l’avenir. » G.C. : « Tous les secteurs qui sont liés aux questions climatiques devraient connaître un surcroît d’activité par rapport à ce qu’on connaissait avant la Covid. Ne serait-ce que parce que le plan de relance, d’ailleurs, consacre des ressources considérables à ces secteurs. » Ces transitions sur le marché du travail vont s’accompagner à la fois de destructions et de créations d’emplois. Parmi les secteurs qui ont créé de l’emploi en 2020 : les activités informatiques, la construction, les activités pour la santé, la recherche-développement scientifique, l’hébergement médico-social et l’enseignement. G.C. : « Il ne faut pas être effrayé par l’automatisation et la numérisation de nos économies, il faut au contraire accompagner ce mouvement pour que les transferts d’emplois puissent se faire au mieux. Ça va faciliter l’émergence, l’apparition de gains de productivité. Et ce sont ces gains de productivité qui pourront financer simultanément l’investissement dans la transition climatique, le désendettement public, les surcoûts liés au vieillissement de la population et puis les attentes de gains de pouvoir d’achat dont on a vu une expression très forte au moment des Gilets jaunes. »

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